C’est une des principales voies maritimes de la planète, inaugurée par Napoléon III en 1869. Selon l’Autorité du Canal de Suez, 18 880 navires l’ont emprunté en 2019, transportant l’équivalent de 1,2 milliard de tonnes de marchandises. Ce chiffre colossal représente plus de 10 % du trafic mondial, selon les estimations 2019 de l’ONU (11 milliards de tonnes). De surcroît, cette infrastructure de transit demeure le principal trait d’union entre l’Europe et deux continents, en ce qui concerne les échanges commerciaux de toute nature. Même si le tonnage transporté a été acheminé majoritairement par les porte-conteneurs (53 % du total), le reste se répartit assez équitablement entre les pétroliers, le vrac et le cargo. Ce large spectre met en évidence notre dépendance vis-à-vis de ce canal sur la totalité de nos importations. Cette « autoroute maritime » permet, aux vaisseaux qui l’empruntent, une réduction de plus de douze jours sur le temps de transport, par rapport au contournement de l’Afrique au large du Cap de Bonne-Espérance. C’est un gain de temps précieux qui en fait un lieu de passage incontournable. Cette attractivité permet à son propriétaire, l’État égyptien, de bénéficier d’une véritable rente, qui s’est élevée en 2018 à plus de 5,7 milliards de dollars, soit un péage supérieur à 300 000 dollars par bateau !
Cette manne est protégée depuis 1888 par la convention de Constantinople, affirmant la neutralité du canal, déclaré libre et ouvert, en temps de guerre comme en temps de paix, à tout navire de commerce ou de guerre, sans distinction de pavillon. La seule période où ce droit international a été bafoué, remonte en 1956, lors de sa nationalisation par l’Égypte. Des navires volontairement coulés ont bloqué son accès pendant plusieurs mois. Cet épisode, datant de presque soixante-cinq ans, s’est effacé dans les mémoires. Pourtant, un évènement anodin a rappelé aux investisseurs et aux entreprises l’importance de cette route pour notre économie mondialisée. Un vaisseau de 400 mètres de longs de la compagnie Evergreen s’est échoué de travers sur une rive, bloquant le trafic. L’incident, a duré presqu’une semaine, créant un véritable bouchon et retardant plus de 300 navires, non seulement sur leur horaire d’arrivée mais également sur la date de départ de leur prochaine cargaison. Cela met davantage sous tension la chaine d’approvisionnement mondiale, qui était déjà mise à rude épreuve par la crise sanitaire.
Ce grain de sable dans la logistique alimente davantage les craintes d’une augmentation de l’inflation ces prochains mois. Pour le moment, les chiffres officiels en Europe et aux États-Unis restent modérés mais en nette progression. Ainsi, l’inflation en mars a été inférieure aux attentes en zone euro à 1,3 % sur un an glissant, contre 0,9 % en février. Toutefois, l’indice de base baisse à 0,9 % contre 1,1 % auparavant. Ces données confortent la BCE dans sa politique monétaire ultra-accommodante. Cependant, une fois la reprise amorcée, un excès de demande par rapport à l’offre risque à terme de se matérialiser, entraînant l’effet redouté. Ce scénario semble de plus en plus probable, avec le redémarrage imminent de l’économie américaine et l ’arrivée ces prochains mois en Europe des doses tant attendues de vaccins. Ces perspectives expliquent le rebond de l’indice de confiance des consommateurs en France (à 94 en mars contre 91), malgré des restrictions sanitaires de plus en plus strictes à court terme. Le troisième confinement national, annoncé ce 31 mars, ne pèse pas sur les marchés pour ces raisons. Même lassés, la population et les investisseurs gardent l’espoir de retrouver des jours meilleurs et de consommer, malgré « une valse des étiquettes » à venir.