N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? Et ne suis-je maudit que pour voir en cette décennie et en ce monde, pandémie, pénurie, inflation, famine et barbarie ?
Cette tirade, modestement inspirée du célèbre monologue dans le Cid de Corneille, pourrait résumer à elle seule la désillusion d’un agriculteur ayant perdu toute sa récolte, à la suite des violentes intempéries de cette semaine. Ce malheureux est clairement une victime du réchauffement climatique, où la canicule actuelle ne fait pas bon ménage avec la récente goutte froide. Ce choc thermique, qui a fait tomber des grêlons « gros comme des boules de pétanque », est voué à se répéter de plus en plus fréquemment.
C’est actuellement le même désarroi chez les investisseurs financiers, constatant amèrement la performance de leur portefeuille cette année et face aux divers chocs subis depuis mars 2020, après n’avoir connu auparavant que l’embellie. Sans broyer du noir et s’enfoncer dans un pessimisme malsain, restons pragmatiques et objectifs. Le monde a profondément changé au cours de ces trente derniers mois et la succession de chocs exogènes constitue un défi pour les humains, les entreprises et les économies. Comme nous l’expliquions précédemment, face à l’incertitude et au revirement des banques centrales, nous vivons une période de compression des multiples de valorisation des actif financiers. Ce durcissement monétaire, est synonyme de fin d’argent gratuit et abondant, et sonne la fin de la complaisance et de la sinécure.
Toutefois, il convient de ne pas désespérer, même si les défis à relever sont nombreux, et les malheurs s’acharnent tous en même temps. Les entreprises s’adaptent aux changements économiques et climatiques. Il est vrai que les récents indicateurs des directeurs d’achats sont en nette baisse des deux côtés de l’Atlantique (51 en juin pour le PMI manufacturier en France et 51,2 pour le PMI composite aux États-Unis). Néanmoins, la très grosse partie de cette correction de valorisation a été effectuée, même si le point bas est sans doute encore à venir. Le niveau actuel du marché (son ratio cours sur bénéfice par action estimé pour 2022) se situe autour de 11 fois en Europe. Si les bénéfices par action chutent de 30 % d’ici 2023, en cas de récession à venir, le marché des actions européennes vaudrait environ 15,5 fois les résultats ; un chiffre en ligne avec la moyenne historique et cohérent dans une période de crise, où les banques centrales relâcheraient l’étau.
À quand la fin du durcissement monétaire de la Fed ? Sans doute d’ici la fin janvier 2023 au plus tard, et après sa réunion du 27 juillet au plus tôt, si la récession frappe dès cet été et l’inflation se rétracte. Les mauvais chiffres macroéconomiques, ainsi que les récentes déclarations de Jerome Powell de cette semaine ont ouvert la perspective d’un calendrier plus précoce. C’est l’explication contre-intuitive du fort rebond des marchés américains depuis mercredi, dans un contexte technique où ils étaient survendus, avec des sentiments au plus bas, depuis la crise de 2008, et un niveau de liquidités dans les portefeuilles au plus haut depuis mars 2020. Cette éclaircie pourrait durer jusqu’à la mi-juillet, avant le début de la saison des résultats du 2 ème trimestre et de nouvelles données sur l’activité, pouvant assouplir ou non la position des banques centrales.