57 % et 23 % : c’est la perte, depuis le début de l’année au 27 septembre, pour un investisseur britannique dans des obligations du Trésor à 30 et 10 ans. C’est un véritable bain de sang pour les créanciers de la cinquième puissance mondiale. C’est encore pire pour les étrangers qui doivent subir en plus l’effondrement de la livre sterling. Celle-ci s’est dépréciée de plus de 21 % contre le dollar sur cette même période. À titre d’exemple, pour un Américain sur les mêmes titres précités, ce double choc sur l’obligataire et la devise provoque une énorme moins-value de 66 % et de 39 % sur 2022. Cette catastrophe peut potentiellement créer un choc systémique, car les assureurs et fonds de pension d’outre-Manche sont traditionnellement détenteurs de cette dette à maturité élevée pour couvrir leurs engagements à très long terme. Cela ne pouvait pas durer et la Banque d’Angleterre a réagi le 28 septembre, avec l’annonce surprise d’un programme temporaire d’achats d’obligations à plus de 20 ans pour restaurer la confiance sur les marchés. Cette décision a réussi à stabiliser le marché, car le taux de l’échéance à 30 ans s’est effondré de plus d’un pourcent, passant de 4,98 % à 3,92 % entre le 27 et le 28 septembre, entraînant un fort rebond de 25 % de son prix (celui-ci passant de 43,22 à 54,08).
Quelles sont les causes de cette crise et va-t-elle se répandre sur les autres pays développés ?
Les principales banques centrales sont dans un cycle de durcissement monétaire, en augmentant leurs taux directeurs et en réduisant plus récemment la taille de leurs bilans. Tout s’est accéléré depuis fin août, avec la déclaration de la Fed à Jackson Hole et avec un fort renchérissement du coût de l’argent et la volonté de garder ce rythme effréné, au moins jusqu’à la fin de l’année, voire jusqu’à mi-2023. Cette ligne de conduite a pesé sur les marchés, en provoquant une baisse généralisée des obligations et des actions.
Ce n’est pas tout, car le second détonateur, qui a véritablement semé la panique, a été l’annonce du nouveau plan de relance du gouvernement britannique de 60 milliards de livres. En cette période de réduction de liquidités, l’argent gratuit c’est fini ! En d’autres termes, les créanciers ne veulent plus payer les additions répétitives, qui se traduisent par toujours plus d’émissions. Cela pose le problème de l’addiction des marchés à la liquidité et sur leur vulnérabilité quand la perfusion est débranchée. Nous assistons de plus en plus à un bras de fer entre les gouvernements, avec leurs politiques budgétaires expansionnistes et les banques centrales, avec leurs politiques monétaires restrictives. L’élection d’un nouveau gouvernement italien nationaliste en est un autre exemple. Les membre de la BCE ont multiplié récemment les commentaires de durcissement, malgré le contexte difficile, et en avertissant sur la pertinence d’un outil « anti-fragmentation ». Le but est de faire pression sur Rome, avec des taux italiens toujours plus élevés, incitant à plus de sobriété budgétaire, alors qu’un un nouveau plan allemand de 200 milliards d’euros contre la crise énergétique a été récemment voté.
Cet environnement de conflits verbaux et d’actions non coordonnées continue de peser lourdement sur les marchés. Les rebonds observés sont de faible intensité et militent pour une prudence à court terme, sans stabilisation de l’obligataire. Toutefois, les anticipations des investisseurs sont très certainement conformes aux plans d’actions des banques centrales, ce qui explique l’intervention cette semaine de la Banque d’Angleterre et laisse penser que l’essentiel du mouvement de hausses des taux a été déjà effectué.