Les plus de quarante ans se souviennent de la célèbre réponse du charismatique Alan Greenspan à une question d’un sénateur américain sur l’évolution des taux d’intérêt, lors de son élocution du 17 février 2005 devant le comité des affaires bancaires, immobilières et urbaines. À l’époque le président de la Fed avait utilisé un mot d’origine inconnue, « conundrum », qualifiant d’énigmatique la baisse des taux longs dans une période de durcissement monétaire. L’institution venait en effet de relever le loyer de l’argent, pour la sixième fois depuis juillet 2004, à 2,50 % au cours d’un cycle qui s’était achevé 17 mois après en juillet 2006 à 5,25 %. Ce terme, mystérieux et terrifiant, avait mis fin à la baisse du 10 ans américain qui avait connu un plus haut de 5,25 % en juin 2006.
Il est fort probable que sa réponse aurait été aujourd’hui identique et que les actuels banquiers centraux rêveraient d’utiliser une parade verbale aussi efficace et redoutable pour contrer le fort mouvement de détente des rendements obligataires des deux côtés de l’Atlantique. En effet, dans leur lutte contre l’inflation, cette forte baisse constitue une nette amélioration des conditions financières, salutaire pour les marchés financiers, mais en inadéquation avec leur volonté de freiner davantage l’activité économique pour ralentir la hausse des prix. Les investisseurs anticipent-ils un cycle plus court que ne le souhaitent les grands argentiers ? La réponse est sans ambiguïté oui, car les opérateurs prédisent une baisse des taux directeurs de la Fed dès septembre de cette année, après un pic atteint en mai ou en juin. Or, la flexibilité d’agir ou non est toujours recherchée par les banques centrales, qui ont horreur de décider sous la contrainte. Du coup, les interventions orales devraient continuer pour calmer cet excès d’enthousiasme, à l’image de celle du gouverneur de la Fed de New York. John Williams a indiqué que l’inflation devrait continuer à ralentir, mais à un rythme encore trop élevé, pour arrêter le travail en cours.
Même son de cloche du côté de la BCE. Christine Lagarde, lors d’un discours à Davos, a une nouvelle fois adopté un langage dur : « L’inflation, quelle que soit la façon dont on la regarde, est beaucoup trop élevée et par conséquent nous garderons le cap jusqu’à ce qu’on soit resté en zone restrictive suffisamment longtemps pour ramener l’inflation à 2 % dans le temps ». Comme en décembre, ces propos ont réussi à inverser la tendance sur le marché obligataire, où le 10 ans avait connu un plus bas en séance en-dessous de 2 %, avant de clôturer à 2,06 %, soit 0,51 % de moins qu’à fin 2022. Mais pour combien de temps ?
En attendant, l’ambiance à Davos était au soulagement sur l’évolution de l’activité, car les derniers indicateurs publiés sont supérieurs aux attentes en Europe, à l’image de celui des surprises économiques de Citigroup, qui continue de progresser à 87, soit un plus haut depuis juillet 2021, contre un point bas récent de – 100 en juillet dernier. En Allemagne, l’indicateur des attentes de croissance économique ZEW de janvier a fortement rebondi à 16,9, repassant positif contre -23,3 en décembre. En résumé, nous sommes en période de désinflation, avec une activité meilleure que prévue en Europe. Ce scénario est pour le moment idéal pour les marchés financiers, qui estiment que le durcissement monétaire actuel est suffisant car ses effets vont continuer à être ressentis tout au long de 2023, même si la fin est proche. Par conséquent, un pivot en 2024 serait clairement une erreur car dangereux. Aux États-Unis, l’indicateur des surprises économiques est passé négatif en janvier, désormais à – 19. Les ventes de détail de décembre sont ressorties à – 1,1 % et la production industrielle à -0,50 %. Et si, chaque velléité des banquiers centraux à relever leurs taux directeurs, risquait d’entraîner une récession et donc rebaisser les taux longs ?