C’est inédit depuis janvier 2022. La Réserve fédérale américaine a passé son tour, ce mercredi 14 juin, en laissant ses taux directeurs inchangés. Elle met ainsi fin à une série ininterrompue de 10 hausses, soit une augmentation totale de 5 % de ses taux d’intérêt en 18 mois. Est-ce la fin du plus fort durcissement monétaire depuis 40 ans ? La réponse est oui pour les investisseurs, non pour les membres de la Fed, qui anticipent deux hausses supplémentaires de 0,25% d’ici la fin de l’année.
Cette divergence de point de vue est cruciale pour la future performance des actifs financiers. Ainsi, L’indice S&P 500 a toujours progressé pendant les 6 mois après le dernier relèvement de la banque centrale américaine depuis 1989, au cours des 5 cycles précédents. Les performances ont varié de 1 % (en 2000) à plus de 16,6 % en 2018, sans oublier des solides rendements, hors dividendes, de 8,4 % en 2006, 11,6 % en 1995 et 10,9 % en 1989. Cette statistique favorable explique le bon comportement actuel des marchés. C’est la raison pour laquelle Jerome Powell s’est bien abstenu de mentionner le mot pause, au cours de sa conférence de presse de mercredi, sachant qu’il aurait été associé à une vision accommodante de la politique monétaire à venir. L’inflation est sur la bonne voie, mais à un niveau encore trop élevé sur un an glissant pour l’indice de base hors énergie et alimentaire (5,3 % selon la mesure du CPI en mai et 4,7 selon celle du PCE en avril). Les membre de la Fed anticipent dorénavant des taux pour les Fed Funds aux alentours de 5,6 % d’ici la fin de l’année, soit une progression de 0,50 %. Sachant qu’il reste 4 réunions d’ici décembre, cela correspondrait à deux relèvements de 0,25 %, soit une modification de la politique monétaire une fois sur deux. Par conséquent et pour l’instant, on peut parler d’un changement de rythme et non d’un arrêt, même provisoire, du cycle de durcissement en cours.
Le son de cloche est totalement différent du côté de la BCE, car sans ambiguïté. Celle-ci vient en effet de relever ses taux directeurs de 0,25 %, avec un taux de dépôt dorénavant à 3,50 %. Le message de sa présidente reste très restrictif, en martelant à plusieurs reprises que l’inflation demeurait à un niveau bien trop élevée et que « la destination du voyage reste une inflation à terme à 2 % ». Au cours de la séance des questions et réponses de la conférence de presse du jeudi 15 juin, Christine Lagarde a même refusé de donner un niveau de taux terminal en fin de cycle, précisant que celui-ci était à ce jour inconnu, car ce sera celui qui ramènera la hausse des prix à l’objectif voulu. Cela sous-entend, que la banque centrale est prête à augmenter massivement le coût du loyer de l’argent pour arriver à ses fins. Le marché a bien compris le message et l’euro a repris une tendance haussière, perdue depuis plusieurs semaines, en clôturant à 1,0944 dollar, contre 1,0862 la veille.
Toutes ces décisions ont bien été digérées et les indices boursiers maintiennent une tendance positive. Il faut dire que la désinflation se poursuit, l’économie est plus résiliente que prévu et que les bénéfices par action des entreprises ne sont plus révisés à la baisse. C’est un cocktail plutôt favorable, avec des banques centrales qui ralentissent le rythme des hausses de taux. Tant que cet équilibre des forces contraires n’est pas rompu, tout va bien ! Toutefois, n’oublions pas que la BCE mettra un terme aux réinvestissements dans le cadre du programme d’achats d’actifs dit APP (Asset Purchase Programme) à compter de juillet 2023. Mécaniquement, la liquidité va continuer à se réduire, ce qui représentera une chappe de plomb pour les actifs illiquides. Dans cette phase de rebond des marchés, il convient de rester sélectif. Les conditions de financement continuent de se tendre et certains signaux du côté des petites entreprises sont plus inquiétants. Ainsi selon l’INSEE, le nombre de défaillances d’entreprises est passé de 32 401 en juin 2022, à 47 231 en mai 2023. Certes on est loin du niveau prépandémique moyen de 59 342, mais cela confirme bien que le poumon de l’économie s’essouffle.