C’est la problématique principale du moment dans les salles de marché. La forte hausse du prix des matières premières, notamment de l’énergie, constitue un casse-tête pour les investisseurs, car elle brouille leurs prévisions de résultats des entreprises. C’est un facteur de risque susceptible de gâcher la fête de cette année, où une augmentation des bénéfices par action de 37 % en Europe et de 22% aux États-Unis est anticipée. En effet, chaque entreprise fait actuellement face à deux forces qui s’opposent : celle positive de la croissance de l’activité et celle négative de l’augmentation du coût des intrants, susceptible de rogner la marge opérationnelle. Depuis janvier, les marchés actions surfaient sur la vague de révisions haussières et régulières des bénéfices. Ainsi, le résultat estimé aujourd’hui pour l’ensemble des constituants de l’indice Stoxx Europe 600 pour 2021 est 25% au-dessus de celui du 1 er janvier. C’est une explication fondamentale de la bonne tenue du marché. Malheureusement, cette dynamique se brise et la tendance n’est plus à l’amélioration. Les pessimistes anticipent même une future baisse à cause de l’inflation.
Il faut dire que les nouvelles en provenance de ce front ne sont pas bonnes. Après le pétrole et l’électricité, c’est au tour du gaz naturel de battre des records. Ainsi, le cours spot de référence en Europe (TTF) a atteint, en séance ce mercredi 6 octobre, le seuil psychologique de 150 euros le mégawatt heure. La progression dépasse 600% depuis début avril ! Cette flambée est largement médiatisée, car elle est synonyme de misère énergétique pour de nombreux foyers cet hiver. Elle oblige les politiques à réagir en bloquant la hausse des tarifs régulés. Il est intéressant de noter que la progression aux États-Unis est moindre, quoique substantielle, puisque les cours ont doublé sur la même période. Pourquoi un tel écart ? Tout d’abord parce que la zone Amérique du Nord est le premier producteur et exportateur mondial, avec la montée en puissance du bassin permien américain et celui des Appalaches. Ensuite, l’Europe est dépendante des exportations algériennes et russes. Le pays des tsars est accusé par l’Agence Internationale de l’Énergie de volontairement contenir ses livraisons, pour assurer le succès commercial du gazoduc Nordstream 2. Vladimir Poutine a rétorqué que le Vieux Continent est responsable de cette pénurie, en n’ayant pas signé assez de contrats à long terme. Ce recours au marché spot, comme variable d’approvisionnement, est une erreur. L’assurance de Gazprom de répondre suffisamment à la demande a suffi à faire rechuter les cours.
Dans cet environnement compliqué, l’heure est à la sélection de valeurs. Les sociétés cotées sont donc attendues au tournant, lors de l’épreuve de la publication des résultats du 3 ème trimestre. Les modifications des objectifs annuels seront encore plus scrutées. Avant ce marathon, les opérateurs de marché préfèrent rester dans l’expectative et se positionnent dans des secteurs favorisés par la hausse des taux et peu concernés par l’augmentation des prix. L’indice STOXX Europe 600 banques est en progression de plus de 11% depuis le 20 septembre dernier, contre à peine 1% pour l’indice général STOXX Europe 600. En ce qui concerne d’autres émetteurs, Saint-Gobain a réussi sa journée investisseurs : les coûts vont augmenter de 1,5 milliards d’euros cette année, mais seront plus que compensés par la politique tarifaire du groupe. Ceci permet d’ambitionner un résultat d’exploitation annuel record. Des mots clés qui ont « fait mouche », puisque le cours de bourse a progressé de plus de 6% depuis le début de l’intervention de son directeur général Benoît Bazin. Une démonstration de « pricing power », qui prouve que certains acteurs gagneront la bataille de la croissance contre celle de l’inflation.