C’est le comble du comble ! Les marchés financiers se portent mieux au moment où les États-Unis rentrent officiellement en récession, même technique pour certains. C’est bien connu : les investisseurs détestent l’inconnu. On l’a bien vu plusieurs fois dans le passé, notamment au moment de la crise sanitaire, où l’indice CAC 40 avait clôturé à un plus bas annuel le 16 mars 2020, la veille du premier confinement en France. C’était inédit, La France et son économie se figeaient, infligeant par la suite, de lourdes pertes à la nation et aux entreprises. Devant le fait accompli, les acheteurs sont progressivement revenus en bourse, en anticipation du déconfinement et d’un retour à la normale pour le reste de l’année.
Cette analogie nous aide à comprendre le rebond des actifs financiers depuis plusieurs séances. Il faut admettre que c’est presque une hérésie de l’écrire, mais le fait de basculer en récession outre-Atlantique, officiellement ou non, constitue une levée d’incertitudes pour les financiers. Nous y sommes, et ce que nous redoutions tant auparavant se produit. Que se passe-t-il d’habitude dans cette situation ? La réponse est assez simple : une expansion des multiples de valorisation, grâce à la baisse des taux d’intérêt, et une baisse des bénéfices par action.
Certes, chaque crise est différente et comporte des spécificités. Nous vivons, aujourd’hui, avec une inflation au plus haut depuis 50 ans, des risques géopolitiques et un conflit majeur en Europe, et les séquelles de la pandémie, avec des ruptures persistantes dans la chaîne mondiale d’approvisionnement. Toutefois, ce tableau noir a été en grande partie intégré par les marchés. Comme souvent dans l’incertitude, ils ont anticipé le pire, mais l’apocalypse n’est pas non plus une certitude. Les particularités de 2022 sont triples. Tout d’abord, la Fed n’a jamais autant durci sa politique monétaire en un trimestre depuis 1981, avec un relèvement cumulé de ses taux directeurs de 2 %. Jerome Powell se rapproche plus d’un faucon comme Paul Volcker, que d’une colombe, comme Ben Bernanke. Pour autant, le ton lors de sa dernière conférence de presse a changé. Son discours ressemble dorénavant plus à une main de fer dans un gant de velours. Même déterminée à combattre l’inflation, la banque centrale américaine ne va plus agir d’une façon expéditive, mais en fonction des données économiques. La pause estivale va faire du bien, car nous avons deux mois devant nous de stabilité monétaire, avant la prochaine réunion du FOMC du 21 septembre. Le deuxième élément atypique est le faible niveau de chômage actuellement sur les deux continents (européen et américain). Il est difficile de recruter, alors pourquoi licencier si les carnets de commandes sont pleins ? La troisième spécificité est le bon niveau des résultats au cours de ce deuxième trimestre et l’absence actuelle des révisions à la baisse des bénéfices par action, typique en phase de contraction de l’activité. Certes, les marges sont sous pression, du fait de l’inflation, mais les chiffres d’affaires restent bien orientés. Tous ces éléments font que les actifs financiers se comportent mieux que ce qui était prévu. Cette phase de rebond des marchés durera jusqu’à l’épuisement de l’excédent de liquidités mis en réserve par les gestionnaires d’actifs. Les valeurs de croissance, qui ne déçoivent pas avec leurs résultats, sont particulièrement recherchées. Le luxe en est l’exemple parfait.
Quels sont les facteurs qui pourraient calmer cette frénésie estivale ? Une inflation qui ne faiblit toujours pas, malgré l’accalmie récente des matières premières, un durcissement du conflit en Ukraine ou une consommation des ménages qui se contracte durement. Ce serait la véritable incertitude.