C’est une insurrection. Un véritable « Ah ! ça ira, ça ira, ça ira » lancé par les petits porteurs américains sur les réseaux sociaux. La cible n’est pas un roi, ni un dictateur mais plutôt les fonds spéculatifs. Ces financiers, souvent montrés du doigt comme étant sans scrupules, ont une solide réputation de destructeurs, via les ventes à découvert. On se souvient de la chute de la livre sterling en 1992 par Georges Soros, via son véhicule d’investissement Quantum. La spéculation à la baisse a également précipité la restructuration de dettes de nombreux États et de sociétés en difficultés, comme l’Argentine en 2001, la Grèce en 2010 ou la holding Rallye en 2019. La crise financière de 2008 n’a pas entamé la puissance des hedge funds. Bien au contraire, l’encours des actifs gérés par ces fonds dépasse les 3 000 milliards de dollars et constituent désormais une classe d’actifs à part, dite « alternative ».
Pourtant depuis un mois, cet ogre doute et certains acteurs subissent des pertes estimées au total à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Mi-janvier, lassés par la faiblesse de cours de certains de leurs titres, les particuliers ont utilisé deux armes redoutables qui ont fait reculer l’envahisseur : internet et les dérivés. Sur des forums spécialisés, tel WallstreetBets, des appels à des achats massifs pour débouter les « shorts » ont été lancés sur des titres tels Gamestop, AMC et Nokia, avec à la clé des rebonds impressionnants. La palme de la volatilité revient au premier des trois, avec un cours qui est passé de moins de 20 dollars à 469 dollars en séance du 12 au 28 janvier, pour coter aujourd’hui autour des 50 dollars. Ce bras de fers entre boursicoteurs et spéculateurs n’a pas d’impact en théorie sur l’économie réelle car les lourdes pertes des uns sont transférées sur les comptes des autres. Toutefois, la communauté financière s’inquiète des conséquences de la déroute des hedges funds impactés. Ceuxci sont contraints de réduire la taille de leur bilan, provoquant ainsi des ventes forcées sur d’autres titres, notamment technologiques. Ce phénomène pourrait s’accélérer avec des futurs rachats de clients insatisfaits. De surcroît, l’interdiction, même provisoire, des ordres d’achats sur les actions concernées par des plateformes de trading, telle Robinhood, porte l’affaire sur le plan juridique avec la SEC impliquée dans des recours. Alors que l’on compte, de part et d’autre, les blessés, voir les morts provoqués par cette révolte, cet épisode n’est peut-être pas le dernier. Ainsi, le nombre d’options d’achats sur actions détenu par les particuliers aux États-Unis dépasse encore les 9 millions, après avoir dépassé le niveau des 12 pendant la bataille. L’armistice n’est donc pas encore signé. Par analogie historique, espérons que l’on ne vient pas d’assister à la guerre des farines de 1775, prémices de la Révolution française de 1789.
Entretemps, le marché a bien digéré sa première consolidation de l’année. Le nombre de nouveaux cas contaminés par le SARS-CoV-2 a reculé dans le monde, surtout outre-Atlantique et outre-Manche. L’arsenal de vaccins potentiels s’étoffe (5 en Occident et 3 en Russie et en Chine). La saison des résultats des entreprises se déroule bien, avec plus de 70 % d’entre elles battant le consensus en Europe. À cela, s’ajoutent des chiffres économiques plutôt résistants aux USA en janvier (PMI et ISM manufacturiers à 59,2 et 58,7, nombre d’emplois créés selon l’ADP à 174 000). La crainte du retour de l’inflation refait surface, avec un indice de base en hausse de 1,4 % en zon euro, soit au plus haut depuis octobre 2015. Les courbes des taux souverains se pentifiant au pays de l’oncle Sam, ce phénomène favorise les valeurs cycliques et les banques, permettant aux investisseurs d’espérer des jours meilleurs.